De la musique et des images
Publié dans CIRCUIT, Revue nord-américiane de musique du XXeme siècle
Volume 13 Numéro 3 (2003)

Jean Piché, 2003


Lorsqu’on m’a demandé d’écrire ce texte, j’ai bien réfléchi pour me convaincre que mon travail de composition est , de fait, de la musique électroacoustique. Depuis les 25 ans que je pratique ce métier, j’ai toujours largement débordé les balises, parfois intransigeantes, de la forme pure. J’ai toujours nourri une insatisfaction structurante envers la musique électroacoustique classique et je n’ai pas été surpris que plusieurs des textes du premier numéro de Circuit (13-1) posent des questions assez tranchantes sur la nature de celle-ci. Si j’ai été électroacousticien, ce le fut plus souvent avec réticence. Mais, composant surtout des musiques sur support fixe, je n’ai eu d’autre choix que de participer à son développement.

Depuis 1995, mon travail est un art médiatique qui allie musique et image en mouvement. Images et sons naissent d’un même geste. L’électroacoustique est à la base de ce travail dans la mesure où la plasticité du matériel est un aspect central de mon expression artistique. Je discuterai les conséquences de cet alliage en seconde partie. Je dois d’abord m’occuper de mon passé d’électroacousticien rébarbatif.


L’électroacoustique, ça existe encore ?

Ma pratique n’est pas de la musique électroacoustique, du moins pas dans le sens où l’on entend depuis plusieurs années. Pour moi, la composition électroacoustique sur support a atteint son apogée entre 1990 et 1995 avec les œuvres de Francis Dhomont et de certains de ses collègues. Depuis ce temps, la pratique classique de l’électroacoustique (acousmatique ou autre) retient difficillement mon attention. Plusieurs tenants demeurent, certains très forts, mais la forme électroacoustique est en crise terminale. Il m’apparaît important de comprendre pourquoi. J’avance quelques propositions :


Technologie

La valeur de l’expérimentation pure a chuté vertigineusement depuis la démocratisation des moyens de production. N’importe qui peut désormais créer une matière sonore inusitée, incestueuse, alléchante, improbable, assommante, illuminante ou essoufflante. La raison d’être de la musique électroacoustique dépend de cette matière sonore. Depuis les premières aventures de détournement de la technologie audio à des fins musicales (avec la musique concrète en France et la musique électronique en Allemagne au début des années 1950), on peut voir jusqu’à quel point les compositeurs tenaient un rôle d’explorateurs sans peur des limites de l’audible et du musical. Ces limites étaient toujours établies par les capacités - plus ou moins avancées - des outils utilisés, qu’il s’agisse du tourne-disque, du magnétophone ou des premiers ordinateurs. Pousser les frontières de la réalité sonore était une fin en soi. Cependant, beaucoup de silicone a coulé sous les ponts depuis cette époque. Après un demi-siècle de technologie « musicale », les outils sont devenus transparents. Si on peut l’imaginer, on peut le réaliser. On peut même le réaliser facilement. La recherche purement fonctionnelle n’est plus indispensable. La montagne du son a été gravie et nous débouchons sur un plateau qui s’ouvre devant nous à perte de vue. Cet état des lieux, en apparence anodin, sonne pourtant une alarme inquiétante pour une musique dont le vocabulaire même a toujours été tributaire des outils qui la font parler. Le son, en soi, n ‘est plus une valeur négociable. La technologie musicale numérique est devenue trop souple et trop facile d’accès pour qu’on puisse y trouver un critère de nouveauté qui pourrait à lui seul définir  le « modus vivendi » de toute une pratique.


Langage

Reste donc le langage et l’articulation de cette matière dans un discours qu’on espère cohérent. Or, la musique électroacoustique classique se définit encore aujourd’hui par l’absence de rythme (corporalité) et d’articulation de la hauteur (directionalité). L’absence de ces deux piliers de ce qu’on appelle « musique » dans la tradition occidentale est toujours le principal critère de reconnaissance du genre.

La musique du sillon fermé, telle que proposée par Pierre Schaeffer en 1949, s’inscrivait dans le même mode révolutionnaire que celui épousé par les compositeurs héritiers de Webern : construire un nouvel édifice de la modernité musicale fondé sur le rejet complet et radical des matériaux élémentaires de l’écriture musicale occidentale de tradition. La dénonciation militante de la consonance et de la métrique au profit d’une expérience épurée d’un espace timbre/son aura été à l’origine des premières musiques électroacoustiques, sur le même mode que les radicaux de Darmstadt repensaient l’écriture instrumentale. C’est donc dans une tradition intellectuelle et idéologique qui s’avère très proche des musiques instrumentales post-1945 que se sont déclinés les progrès de la musique électroacoustique, tant dans les balises de sa pratique que dans sa réception publique. En Europe comme en Amérique, le modernisme musical n’aura pas su, après 50 ans, attirer un public plus vaste que celui qui est associé de près ou de loin à la pratique elle-même. Pourquoi ? Il existe pourtant bien une musique d’après-guerre mûre, où des voix individuelles fortes et sophistiquées se font entendre.

Je ne veux pas ici discuter de la musique instrumentale puisque celle-ci fait toujours référence à un catalogue de signes partagés, que ce soit la note ou la performance. Il existe nombre de commentateurs plus habilités que moi à le faire.

Le langage de l’objet sonore, sur lequel s’est échafaudée toute la pratique électroacoustique depuis les années 1950, refuse de se plier à une méthode d’analyse cohérente. Les règles sont inexistantes ou très faibles, la critique en est très fréquemment vague. Le langage est exclusif. Les codes de compréhension du discours ne sont pas partagés par les non-initiés. L’appréhension de l’expression est presque impossible. Très peu de personnes qui ne sont pas impliquées dans la production de cette musique, dans une capacité ou une autre, possèdent les référents nécessaires pour l’apprécier à sa juste valeur. Pour cette raison, cette pratique demeure académique et, forcément, marginale. Elle a contribué énormément à notre compréhension de la phénoménologie sonore et continue de le faire, mais très peu de démarches fraîches voient le jour, si ce n’est une application toujours plus plastique et fine des derniers logiciels de production sonore. L’expression transcende t-elle vraiment le sac de trucages duquel elle est issue ?

Le language de l’objet sonore n’a pas de systême d’organisation verticale et horizontale assez cohérent pour rendre compte de tous les possibles sonores et de leur discours potentiel. Le code reste privé. Ce qui n’empêche pas qu’on puisse y exprimer quelques chose d’unique et d’original. Plusieurs le font et le font bien. On peut, bien sur, articuler une pensée musicale qui repose exclusivement sur le sonore en utilisant les propriétés internes du son pour définir et échafauder des œuvres qui diront beaucoup plus que le son qui les compose. Mais qui au juste entend ces trouvailles ?

Quant à moi, c’est un pari impossible. Ou, devrais-je dire, je choisis de ne pas engager ce pari. Depuis des années, je compose des œuvres qui se situent en marge de la pratique électroacoustique, des musiques qui cèdent aux charmes pernicieux et combien suspects de la tonalité, qui tentent délibérément de se situer à un autre niveau que celui de l’exercice de style. Pas parce que j’ai envie de me faire comprendre du plus grand nombre, mais parce que mes activités de recherche sonore et de designer de logiciels m’ont permis de constater le vide expressif de l’innovation pour elle-même, surtout en musique. Comme pour le sonore, la complexité du langage révèle ses limites lorsqu’on l’examine de près. Crassement, je pose donc en observateur et je vois que l’expression dépasse le sonore et la complexité. Lorsqu’on connaît les capacités de calcul des technologies contemporaines, on réalise que la complexité n’est qu’apparente. En conséquence, les musiques en apparence les plus simples sont souvent les plus difficiles à réaliser.


Concert

Face à la composition instrumentale contemporaine avec laquelle elle partage les difficultés soulevées ci-haut, la musique électroacoustique est confrontée à une double embûche : la musique instrumentale peut vivre sans devoir réécrire le contexte rituel dans lequel le public prend contact avec elle. Autrement dit : un concert reste un concert. Ce n’est pas le cas de la musique électroacoustique, particulièrement de la musique dite « acousmatique ».

L’engagement du public est désincarné. Ce constat peut sembler brutal, et on ne peut nier que l’écoute concentrée dans un espace de projection optimum livre des plaisirs esthétiques difficilement perceptibles dans une écoute distraite à la maison. Une vague insatisfaction demeure. Après tous les artifices auxquels on a recouru pour rehausser son intérêt (orchestre de haut-parleurs, diffusions multipistes, sonos raffinées), la diffusion publique de la musique électroacoustique passe avec difficulté la barre de l’engagement. En tant qu’auditeur, je m’y sens prisonnier. On entend bien, oui, mais pas toujours ce qu’il faudrait entendre. Le « sweet spot » d’écoute acousmatique demeure très restreint, et tous les trucages sonores et détails spatio-temporels de la diffusion sont difficilement perceptibles en dehors de celui-ci. L’expérience relève de la solitude, ce qui s’oppose à la fonction rituelle du concert. Si j’entends bien, je veux aussi voir. Contrairement à mes collègues, je crois franchement que l’expérience publique du concert sans engagement visuel ou, à tout le moins « événementiel », est impossible. Le spectacle musical tient à bien peu de choses visuellement, c’est vrai, mais ce n’est pas rien : lors d’un concert impliquant des interprètes, on reconnaît implicitement que les sons sont directement attribuables aux gestes, si minimes soient-ils, d’êtres humains bien en chair devant nous. C’est une des raisons qui m’ont fait choisir la vidéo. Pas par ersatz, puisque, comme on le verra plus tard, l’image est aussi sa propre justification. La poétique de l’image et du son, avec tous les problèmes que cela soulève, redonne tout de même à la musique sur support une raison d’exister en dehors du privé. On va y entendre, comme on va au cinéma.


Renaissance ?

Il est à la fois réjouissant et troublant que les expressions les plus vivantes en musique électronique (une appellation plus englobante que « musique électroacoustique ») habitent maintenant un univers complètement séparé de la tradition européenne ou américaine de la musique « savante ». La musique électroacoustique a été doublée par le mouvement techno. C’est beaucoup plus qu’une mode. Les musiques électroniques sont re-nées d’une souche différente, une souche qui a une crédibilité vernaculaire mais qui (souvent à son détriment) connaît mal les acquis d’un genre musical qui existe depuis une cinquantaine d’années. Avant qu’on pense que je loue les mérites de quelque épouvantable niaiserie d’un club de danse à la mode, je précise que c’est la racine qui a changé. La musique de fête n’en est qu’une manifestation. Le jardin, à plusieurs égards, est encore à construire mais il existe plusieurs talles franchement prometteuses. C’est une musique réconciliée avec le rythme, et pas forcément le plus élémentaire. C’est une musique réconciliée avec les hauteurs, entretenant un lien très intime avec le sonore. Nous sommes loin du Traité des Objets de Shaeffer. Quoique… au son, on pourrait parfois s’y méprendre.

On peut se vexer de voir récupérée l’innovation sonore par les mouvements vernaculaires sans qu’on rende à César ce qui lui revient, mais on peut difficilement s’étonner que les nouvelles musiques technos soient montées de la rue. Par obstination où par extrémisme idéologique, le modernisme académique récolte les fruits du clivage qu’il s’est imposé depuis Webern. Plutôt qu’une interpénétration saine de la musique savante et des courants vernaculaires, la tradition européenne aura interdit les fréquentations jugées de bas étage avec la même énergie qu’elle aura interdit l’armature à la clef. On peut certes reprocher aux mouvements technos une certaine naïveté, mais ceux-ci ont l’avantage d’une génération spontanée qui a récupéré ce regard hétéroclite sur le sonore que les avant-gardistes de la musique électroacoustique auraient tant voulu qu’on leur reconnaisse. Réjean Beaucage, dans son article sur la manifestation de musique électronique MUTEK (Circuits 13-1), décrit très bien cet inconfort.


Et pourquoi ces images ?

Je ne suis pas cinéaste. Je ne suis pas artiste vidéo. Je suis musicien. C’est pourquoi j’assume la responsabilité de tout ce qui précède. La musique demeure pour moi le vocable de l’infini et je m’y sens chez moi. Les œuvres vidéo que je fais sortent du même moule que la musique. C’est difficile à expliquer. La théorie du cinéma ou même des nouveaux médias ne s’est pas encore arrêtée à cette forme hybride. Je tenterai ici de jeter quelques balises pour définir ce que j’appelle la « vidéo-musique ».

À la fin des années 1980, j’ai commencé une collaboration de plusieurs années avec le vidéaste américain Tom Sherman. Son approche de l’image électronique est représentationnelle et narrative, mais l’utilisation inhabituelle qu’il fait de la caméra ouvre une vision presque désincarnée sur les objets, paysages et personnages de la vie courante. Composition soignée du cadrage, angles inusités et montage d’un formalisme discret, tout dans son travail me suggère la nature essentiellement concrète de la vidéo d’art. De manière plus significative, son processus de création s’apparentait au « flux » du travail en studio électroacoustique : prise de sons, nettoyage et traitement de ceux-ci, organisation des sons, composition dans le temps… Plus qu’un bête simulacre, les mouvements de l’image électronique peuvent être manipulés avec des outils presqu’identiques. Après avoir composé plusieurs musiques pour Sherman, j’ai produit mon premier vidéo-musique. La tentation était trop grande.

La musique électroacoustique est une abstraction d’un genre très particulier. On y manufacture  la matière musicale en studio. Tout comme le studio de montage vidéo est une manufacture d’image. La musique électroacoustique est née de sa confrontation avec les appareillages électroniques. L’art vidéo est né d’une confrontation avec la technologie de la télévision. L’ère numérique a maintenant rapproché les deux disciplines de façon presque inextricable. La vidéo-musique naît de cette union.


La musique visuelle

La plupart des musiciens connaissent le rêve de Scriabine qui voulait faire « voir » sa musique avec des orgues de couleur. Oscar Fischinger, John Whitney, Stan Brakhage, Al Razutis, Norman McLaren et Woody Vasulka, parmi tant d’autres, ont poursuivi ce rêve. Mais ces noms sont rarement prononcés dans les milieux de la création musicale et sont tous issus du cinéma expérimental et de la vidéo.

Depuis plusieurs années, il existe, surtout aux États-Unis et au Canada une pratique expérimentale audio-visuelle qu’on appelle « visual music ». Les tenants de cette forme argumentent, de façon parfois insatisfaisante, que la représentation visuelle du phénomène musical passe par l’abstraction pure. Donc, mouvements de lumière, de couleurs et de formes assujettis au parcours sonore et musical de la bande-son. L’équivalence élémentaire serait par exemple un son représenté par un carré rouge dont la taille est déterminée par son amplitude et la position par sa hauteur en fréquence dans un espace cartésien quelconque. Cet exemple est évidemment réducteur, mais il illustre bien une recherche très légitime des correspondances images-sons. L’image est cependant plus que lumière et forme, autant que musique est plus que sons. Si l’objectif est de développer une forme visuelle nouvelle sur un échafaudage par essence non référentiel (la musique), c’est certainement très pratique. Mais on sent tout de suite quelque chose de peu prometteur dans une approche complètement abstraite. Cela peut pécher par excès de purisme, tout comme les premières musiques électroniques irritaient par leurs sonorités cliniques.

Cependant, la perception synchronisée de l’image et du son joue un rôle intégrateur dans l’expérience esthétique médiatisée. Cette synchronicité que Michel Chion nomme « synchrèse » dans L’audiovision , est un catalyseur perceptif très puissant permettant à l’auditeur de comprendre un stimulus auditif et un stimulus visuel comme étant une seule et même chose. Ce qui semble essentiel pour un art véritablement unifié. L’expérience permet toutefois de conclure que dans le contexte d’une œuvre audio-visuelle, la présence constante de synchrèse n’est pas nécessaire et devient facilement nuisible à un discours cohérent. En effet, la synchrèse ne fait que renforcer et appuyer ce qui est donné à entendre et à voir et agit comme frein à la métaphore. Le son accompagnant une boule qui explose n’ajoute rien à l’explosion, si ce n’est de la rendre plus évidente. Il faudra donc considérer la synchrèse comme un outil d’ancrage important entre image et son, mais on l’utilisera avec parcimonie pour ne pas tomber dans une bête redondance du mouvement auditif et visuel. Ce qu’on aurait pu croire un des atouts de la  visualisation musicale directe est souvent un frein à son potentiel.

Si la « visual music » ne peut être cohérente qu’avec l’abstraction visuelle, il me semble que la vidéo-musique, elle, doit plutôt se réconcilier avec l’image représentative, ne serait-ce que pour enrichir la palette expressive à sa disposition.


Un nouveau cinéma ?

Ce qui nous amène à la narration. S’il y a image reconnaissable, il y a narration. La représentation d’une pomme vient avec toutes les associations extra-musicales que la pomme implique. On n’a pas le choix : on doit parler de cinéma. L’image représentationelle nous implique directement. Les associations qui s’en dégagent nous transportent immédiatement à une séparation du phénomène physique de la lumière et dans le monde du vécu et de l’expérimenté. La suite logique de ce parcours nous mène tout droit à ce qu’on peut appeler la submersion du soi chez l’auditeur, ou si vous préférez : la suspension de l’incrédulité. Au fil de l’histoire racontée avec plus ou moins de spécificité, on oublie ce qu’on regarde et ce qu’on entend. On devient partie prenante de l’action cinématographique. C’est le pouvoir magique du cinéma. L’image, le dialogue, la musique et le son sont entièrement subjugués à la fonction narrative de l’œuvre totale.

L’image cinématographique est directe et notre implication avec elle nous fait oublier que c’est du cinéma. La musique ne fonctionne pas de la même manière. La musique nous engage de façon plus détachée. On s’y perd aussi, certes. Mais on s’y perd dans la matière même qui la constitue. Au cinéma, on se perd dans la représentation à travers la matière. Le narratif est le cinéma. La musique est l’expérience du temps pur, sans l’inconvénient d’une histoire. La musique de film est donc obligatoirement un effet sonore émotif et ne peut pas être autre chose qu’un soutien à l’illusion cinématographique. Si on vise l’intégration de l’image concrète dans la vidéo-musique, il faudra s’intéresser à la question du narratif, ne serait-ce qu’à un niveau sublimé.


Les clips

Et les vidéos-clips? C’est pourtant bien de la musique et les images y font office de justification visuelle. Outre les considérations proprement commerciales de cette forme, il est difficile, sauf dans certains exemples particulièrement réussis de Peter Gabriel ou Bjork, de discuter cette forme avec plus de profondeur qu’on ne discuterait les mérites culinaires d’un Big Mac. Néanmoins, malgré leur allure de « prêt-à-voir », les vidéos-clips ont le mérite d’avoir ouvert une voie unique de communication visuelle à des fins musicales. Qu’on pense ici à ces clips des Beatles à la fin de leur carrière quand on a jugé essentiel pour des fins de mise en marché de produire une visualisation fantaisiste des musiciens alors qu’ils étaient devenus des reclus de studio. On se sera rapidement rendu compte des limites du documentaire pour communiquer l’aventure musicale que proposaient les Beatles, d’où ces scènes humoristiques et fantaisistes débordant largement du narratif habituel pour ce genre de « document ». Il est indéniable que la combinaison de musiques connues avec une interprétation visuelle libre a balisé des pistes importantes pour un type d’œuvre audio-visuelle qu’on pourrait qualifier de semi-narrative. Mélangeant tour à tour les effets visuels purs, les objets et personnages en situation dramatique et la représentation documentaire, les meilleurs clips définissent un univers onirique où la musique fait office de dialogue.

Ce paradigme est très séduisant, puisqu’on ne peut douter que la musique y occupe le tout premier plan et que les images sont articulées en fonction de la musique. La synchrèse y occupe souvent une place privilégiée, mais pas toujours. Plus souvent, on retient le surréalisme du propos, la narrativité accessoire et l’innovation libre du discours visuel. Le clinquant mercantile de la forme clip ne diminue en rien sa pertinence quant aux associations intuitives image-son.


Vidéo-musique

Ce que je propose est une extension du concept de video-clip vers une forme beaucoup plus ambitieuse qui se rapproche de celle du cinéma. Une forme où le contenu musical dépasse en finesse et en subtilité ce que propose la vidéo-clip de commerce. Une forme qui s’approprie tous les moyens de production numériques tant pour l’image que pour la musique. Une forme hybride qui livre en même temps en image et en musique une vision poétique et ouverte de l’imaginaire.

Foncièrement, cet art hybride aura une fondation technolgique. Il nourrira son expression par les artifices de l’image manipulée, au même titre que la musique électroacoustique se justifie par les transformations du son.

La vidéo-musique se définira aussi par une absence : l’absence d’un narratif déterminant. Elle prétend à la poésie sensorielle. Si le cinéma est un roman audio-visuel, la vidéo-musique est de la poésie audio-visuelle. L’ouverture de sa forme permet l’exploration débridée du magique, du fantasmagorique et d’un nouveau type d’absolu : la musique devenue image.